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Record du CAC40 : les huit questions que pose l'envolée de l'indice parisien
Le 13 / 04 / 2023

Le CAC40 a battu son troisième record d’affilée jeudi à 7 480,83 points.

Une envolée qui interroge alors que la tempête bancaire vient tout juste de retomber et que la croissance ralentit. 

 

Rien ne semble pouvoir arrêter le CAC 40. Après avoir pulvérisé son record de janvier 2022 mardi, à 7.390,28 points, l'indice parisien a poursuivi son ascension, se hissant à 7.396,94 en clôture mercredi puis 7.480,83 jeudi. Le signe d'une exubérance injustifiée? Il y a seulement quelques semaines, la faillite de la banque californienne SVB puis le sauvetage de Credit Suisse faisaient trembler le système financier, et de nouvelles répliques pourraient se produire.

Quant aux perspectives économiques, elles ne sont pas rassurantes. Le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse sa prévision de croissance mondiale pour cette année à 2,8% (après 3,4 % en 2022). La situation en France a, elle aussi, été réévaluée. Si le FMI prévoit toujours une croissance de 0,7 % en 2023, il estime qu'en 2024 elle devrait ressortir à 1,3 %, contre 1,6 % attendu précédemment.

 

Comment expliquer alors que les perspectives économiques se dégradent?

A entendre les spécialistes des marchés, la hausse de plus de 15,5 % enregistrée par le CAC 40 depuis le début de l'année s'explique très bien. L'indice parisien a d'abord bénéficié d'un effet rattrapage, après une année boursière 2022 calamiteuse, expliquent-ils. Puis d'un effet Chine, avec la fin des restrictions drastiques liées au Covid et la réouverture du pays. « Il serait erroné de parler de "complaisance" ou de "comportement irrationnel" des marchés », indique Catherine Garrigues, responsable de la gestion actions chez Allianz GI. En fin d'année dernière, les cours boursiers intégraient les anticipations d'une récession qui ne s'est pas matérialisée.

Puis la réouverture décidée par

Pékin a dopé les valeurs fortement exposées à la Chine. « Parmi les .valeurs qui ont beaucoup monté cette année, LVMH, Hermès, L'Oréal,

Kering, Essilor Luxottica et Pernod Ricard sont toutes très exposées à la. consommation internationale, en particulier chinoise, et ces groupes ont un pouvoir de fixation des prix important », poursuit-elle.

Après avoir engrangé 140 milliards d'euros de profits en 2022, les champions du CAC40 s'apprêtent à publier de très bons résultats au titre du premier trimestre. « On attend des résultats et des marges au plus haut et il n'y a aucune raison de penser qu'il y aura des déceptions importantes », explique Régis Bégué, responsable de la gestion actions chez Lazard Frères Gestion.

Les nuages s'amoncellent au niveau macroéconomique, mais leur traduction dans les résultats à venir des entreprises est difficilement quantifiable. « Parmi les menaces, aucune ne s'est pour l'instant concrétisée », remarque-t-il.

 

Le CAC 40 est-il trop haut?

S'ils n'excluent pas une correction en cours d'année, la plupart des professionnels de marché sont beaucoup plus à l'aise avec les niveaux de valorisation des actions du CAC 40 aujourd'hui qu'à l'époque des précédents records, début 2022. « Les multiples de valorisation paraissent plus raisonnables aujourd'hui, maintenant que le gros du durcissement monétaire des banques centrales est derrière nous et que l'économie chinoise s'est rouverte », estime Alexandre Baradez chez IG France.

Les cours représentent en moyenne 14 ou 15 fois les bénéfices futurs à l an) des valeurs du CAC 40, et autour d'une fois et demi leur valeur comptable, signale Régis Bégué, pour qui « les valorisations sont élevées mais pas excessives ». Certaines valeurs présentent un rapport cours sur bénéfices futurs (PER) inférieur à  10, notamment dans le secteur bancaire, « un niveau attrayant car les banques françaises ont souffert des turbulences liées à SVB mais elles sont solides », remarque Catherine Garrigues.

 

Le CAC 40 est-il représentatif de l'économie française?

Absolument pas. Les géants du CAC40 sont beaucoup plus exposés à la croissance mondiale qu'à la dynamique hexagonale. La vigueur de l'indice parisien s'explique par la surreprésentation du secteur du luxe. Les quatre valeurs Hermès,

Kering, L'Oréal et LVMH (propriétaire des « Echos ») représentent 25% de l'indice, pondéré par les flottants des groupes. Ainsi, la progression de 1,13 % du CAC 40 jeudi s'explique largement par la hausse de 5,65 % enregistrée par LVMH à la suite de la publication de ses résultats. Le géant du luxe, devenu la première capitalisation boursière en Europe, pèse désormais près de 444 milliards d’euros.

La réouverture de la Chine a profité à ces groupes, protégés des effets de l’inflation par leur capacité à imposer leurs prix. Hermès, avec +35%, LVMH avec +30% et l’Oréal avec +27% figurent respectivement au 2e, 3e et 4e rangs des meilleures performances du CAC depuis le début de l’année. Ils ne sont devancés que par STMicroelectronics qui a gagné plus de 40%. « Quand on remplace le pétrole, le charbon et le gaz par l’électricité, on a besoin de semi-conducteurs et STMicroelectronics profite de cette tendance structurelle », souligne Catherine Garrigues.

 

Pourquoi les autres places européennes sont-elles à la traîne?

Avec une performance de 15,5 % depuis le début de l'année, l'indice phare de la Bourse de Paris fait mieux que l'immense majorité de ses équivalents européens. « Pour-tant, en termes de risques, il n'y a pas d'enjeux très différents entre les indices, souligne Dominique Ceolin chez ABC arbitrage. C'est la composition sectorielle qui est clé. » A Londres, le FTSE 100 affiche péniblement une progression inférieure à 6 %. L'une de ses principales locomotives, le laboratoire AstraZeneca, a connu un premier trimestre atone alors que la valeur dope généralement l'indice. Le poids important des banques au sein du « Footsie » a également pesé.

Le DAX allemand affiche lui aussi une performance depuis le début de l'année inférieure à celle du CAC 40, à 12,5 %. « Le DAX ne compte aucun acteur des secteurs du luxe ou du pétrole, et l'un de ses poids lourds, Bayer, est confronté à des difficultés liées au glyphosate, analyse Régis Bégué, associé-gérant chez Lazard Frères Gestion. En outre l'immobilier, qui connaît un fort ralentissement, pèse sur l'indice. »

Seul le MIB italien fait mieux que son homologue parisien, gagnant c'16 %. En partie parce qu'il est assez peu exposé aux valeurs industriel-les. Et que les banques transalpines ont très bien résisté à la crise bancaire. Unicredit affiche une hausse de 42 % et Intesa Sanpaolo de 15 %.

 

 

Pourquoi la Bourse de Paris n'a-t-elle pas été davantage marquée par la crise bancaire ?

Les malheurs des banques n'ont finalement pas beaucoup pénalisé le CAC 40. Alors que BNP Paribas et Crédit Agricole affichent toujours des performances de près de 10 % depuis le début de l'année, seul le groupe Société Générale, qui ne pèse que 1 % du CAC'40, corrige de 8 %. Après avoir été secoué par les déboires des banques régionales américaines, puis par l'effondrement de Credit Suisse, le secteur bancaire s'est vite redressé avec intervention rapide des banques centrales, écartant tout risque de contagion.

Et malgré le recul de la demande de crédit, les relèvements de taux directeurs sont très bénéfiques aux banques; leurs marges se sont améliorées et le coût du risque reste globalement assez faible.

Les banques françaises restent également attrayantes pour leur valorisation peu élevée : Société générale, BNP Paribas et Crédit agricole se traitent respectivement

9,2, 7 et 6,6 fois leurs bénéfices estimés à douze mois.

 

 

La France attire-t-elle les investisseurs internationaux?

Les actions européennes

bénéficient d'un regain d'intérêt des investisseurs, au détriment des marchés américains. Premier gérant mondial, BlackRock estime que les actions des entreprises européennes, malgré leur bonne performance depuis le début de l'année, restent décotées par rapport à leur moyenne historique et à leurs concurrents américains. Un avis partagé par bon nombre de sociétés de gestion, comme UBS, confiant dans la reprise de la demande chinoise et de la consommation en Europe.

 

Et la France se distingue en Europe. La dernière semaine de mars, alors que les investisseurs se désengageaient des autres pays européens, inquiets de l'inflation persistante et du ton employé par la Banque centrale européenne, la France a enregistré sa plus belle collecte en trois ans sur les fonds en actions « probablement en raison des réformes et de la réouverture de l'un de ses marchés clé, la Chine », estime Cameron Brandt, directeur de la recherche d'EPFR.

 

 

En quoi la détente sur les taux est-elle une bonne nouvelle ?

On pourrait penser que la baisse des taux obligataires montre un regain d'appétit des investisseurs sur cette classe d'actifs, au détriment des actions (quand le taux d'une obligation baisse, sa valeur monte). Pourtant, la bonne performance des obligations n'a pas freiné le dynamisme boursier. C'est parce qu'elle traduit un soulagement à l'approche de la fin du cycle de resserrement monétaire mené par les banques centrales.

Pour essayer de mater une inflation galopante, ces dernières ont procédé à des hausses de leur taux d'intérêt d'une ampleur et d'une rapidité quasi inédites. Une brutalité qui a provoqué de violents remous sur les marchés tant côté dette que côté actions.

Mais cette stratégie semble toucher à son terme. Le prochain tour de vis de la Fed, en mai, devrait être le dernier, les traders pariant même sur une baisse des taux avant la fin de l'année. Et la Banque centrale européenne « a déjà accompli la majeure partie de son voyage », a estimé le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau. Le taux de dépôt devrait ainsi atteindre un pic à 3,75 % d'ici à l'automne contre 3 % aujourd'hui.

Cette stabilisation devrait offrir plus de visibilité sur les coûts de financement des entreprises cotées, ce qui est rassurant pour leurs perspectives de croissance.

 

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La dynamique du CAC peut-elle se poursuivre?

Après cette succession de

records, l'horizon pourrait bien s'assombrir pour le CAC 40 dans les mois à venir. D'ores et déjà, les nuages s'amoncellent sur le plan macroéconomique. Notamment outre-Atlantique, où l'économie commence à montrer des signes de ralentissement. Quant à l'Europe, la menace de la crise énergétique n'y a pas disparu et devrait faire son retour cet hiver.

« Les bons résultats des entreprises, qui ont tiré leurs cours, tiennent au fait qu'elles ont eu une très bonne capacité à répercuter la hausse des matières premières sur leur prix final. Mais elles vont désormais être confrontées à l'inflation salariale, qui ne fait que commencer », avertit Régis Bégué. Les résultats devraient encore tutoyer des records cette année. Mais la pression sur les marges va se renforcer.

Les profits des entreprises pourraient également se retrouver dans le collimateur des autorités, qui les suspectent de « greedflation », ou avidité inflationniste. Certains groupes ont utilisé le prétexte de la hausse des matières premières pour gonfler leurs prix au-delà du surcoût qu'ils ont effectivement supporté. Une bonne nouvelle pour leurs bénéfices, mais un facteur de pressions inflationnistes. Les banques centrales ont commencé à s'en émouvoir. « Les politiciens pourraient être les prochains, ce qui serait une mauvaise nouvelle pour les marges des entreprises », prévient l'analyste de Société Générale Albert Edwards. Cela pourrait notamment relancer le débat sur des taxations exceptionnelles.

 

Artcile Les Echos, le vendredi 14 avril 2023