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Impôt sur le revenu : l'effet de l'inflation sera neutralisé en 2024
Le 11 / 09 / 2023

Bercy va relever les paliers des différentes tranches de l’impôt sur le revenu pour tenir compte de l’inflation.

Une non-indexation aurait rapporté entre 5 et 6 milliards d’euros, mais aurait été politiquement intenable.

 

Ce sera un soulagement pour les contribuables français. Selon nos informations, le gouvernement a décidé d'indexer sur l'inflation le barème de l'impôt sur le revenu dans le projet de loi de Finances pour 2024. Cela signifie que les seuils des différentes tranches seront revalorisés pour tenir compte de l'augmentation générale des prix, hors tabac, en 2023.

Le niveau exact de l'indexation reste à fixer, en fonction des prévisions d'inflation de l'Insee pour

2023. Mais il devrait tourner autour de 4,9 %. C'est moins que l'an dernier, quand le barème avait été ajusté à la hausse de 5,4 %, mais très supérieur hausse de 3,4 %, mais très supérieur à toutes les hausses antérieures depuis au moins une décennie - quand l'inflation restait dans un couloir de 1 à 2 % par an. Concrète-ment, le seuil d'entrée dans l'impôt ne sera plus fixé comme cette année à 10.778 euros, par exemple, mais augmenté pour tenir compte de la hausse des prix. Il en ira de même pour les paliers suivants, qui délimitent les revenus successivement taxés à 11 %, 30 %, 41 % puis 45 %.

 

Signe que la situation budgétaire est tendue, l'exécutif a attendu la dernière ligne droite pour trancher.

 

L'indexation évite ainsi à de très nombreux contribuables de devenir soudainement imposable ou de voir leur impôt très alourdi, du fait de la seule progression de leur salaire. Cette éventualité n'a rien de théorique, car les salaires ont beaucoup progressé en moyenne cette année. En juin, l'Insee prévoyait que le salaire mensuel de base, hors prime, progresserait de 4,6 % en 2023, après 3,2 % l'an dernier.

Pour Bercy, il s'agit d'une décision d'importance. Une non-indexation se serait traduite par une forte hausse du rendement de l'impôt sur le revenu, estimée entre 5 et 6 milliards d'euros en 2024. Mais à l’heure où le gouvernement martèle qu'il se refuse à toute hausse d'impôts, et à peine quatre ans après avoir baissé de 5 milliards d'euros l'impôt sur le revenu des classes moyennes à grand renfort de communication, une telle décision n'aurait pas été comprise et aurait été intenable politiquement. 

 

Un souvenir amer

L'exécutif peine déjà à relativiser les hausses de certaines taxes - la taxe foncière sur laquelle il n'a pas la main ou encore la taxe « Chirac » sur les billets d'avion sous couvert d'écologie. Il n'avait pas besoin de brouiller davantage son message. Signe toutefois que la situation budgétaire s'est tendue, l'exécutif a attendu la dernière ligne droite pour trancher.

L'an dernier, Bruno Le Maire était sorti du bois dès le début du mois de juin pour assurer aux Français que le barème de l'impôt sur le revenu serait bien indexé sur l'inflation. « Il est hors de question que des salariés, des Français paient plus d'impôts sur le revenu avec l'inflation », avait-il expliqué. Cette année, Bercy a conservé son option jusqu'au bout.

Une non-indexation totale était sans doute déjà exclue. La dernière expérience d'un tel gel remonte à 2012 et, bien que l'inflation ait alors été très modeste, elle a laissé un souvenir amer.

La décision, prise par le gouvernement Fillon et mise en application par Jean-Marc Ayrault, s'était traduite par 1,7 milliard d'euros de recettes additionnelles en 2012. Mais l'entrée dans l'impôt de 400.000 nouveaux foyers et la flambée de la feuille d'impôt de millions d'autres avait largement alimenté le « ras-le-bol fiscal » et le gel du barème n'a jamais été reconduit depuis.

Revaloriser le barème avec un taux inférieur à l'inflation était une autre possibilité. Quoique plus acceptable, elle a logiquement été écartée. Reste à trouver ailleurs les milliards nécessaires pour respecter la trajectoire de réduction du déficit public de la France en 2024. 

 

Les classes moyennes françaises plutôt bien loties en Europe

Le niveau d'imposition des classes moyennes en France n'est pas plus élevé qu'ailleurs en Europe.

La France a même un régime singulièrement favorable pour les classes moyennes inférieures.

 

Les classes moyennes françaises sont-elles écrasées par les impôts ? A l'échelle européenne, elles n'ont pas de raison de se plaindre, selon une récente étude menée par quatre économistes de l'IFO - un institut de recherche rattaché à l'université de Munich. Ces chercheurs ont comparé la situation économique de ces ménages, en 2019, dans les 27 pays de l'Union européenne ainsi qu'au Royaume-Uni. La classe moyenne est définie, ainsi que le propose l'OCDE, comme ayant un revenu disponible, après transferts sociaux, compris entre 75 et 200 % du revenu médian national.

La différence est assez marquée entre les pays de l'Est et du Nord de l'Europe. Un foyer bulgare appartient à la classe moyenne s'il gagne entre 2.900 et 7.700 euros par an

-environ 10 fois moins que la classe moyenne luxembourgeoise. La France, avec une classe moyenne disposant d'un revenu compris entre 16.900 et 45.000 euros, se situe en dixième position à l'écheIon européen, à quasi-égalité avec le Royaume-Uni.

 

Ce classement peut bien sûr être pondéré en fonction du coût de la vie. En parité de pouvoir d'achat, les classes moyennes danoises ou irlandaises sont un peu moins favorisées que ne pourraient le laisser penser leurs simples revenus disponibles. En Allemagne ou en Pologne au contraire, le relatif faible coût de la vie dope leur pouvoir d'achat réel.

Mais les grands équilibres continentaux ne changent pas, au vu des chiffres compilés par l'IFO. Les classes moyennes des ex-pays de l'Est sont à la traîne de celles des pays du Nord. Et la France conserve sa position intermédiaire, avec un pouvoir d'achat compris entre 14.900 et 39.700 euros annuels.

L'étude de l'IFO porte ensuite sur la question du fardeau fiscal reposant sur les classes moyennes. En France, le sujet est politiquement sensible. La présidence d'Emmanuel Macron s'est traduite par de nombreux gestes fiscaux en leur direction : suppression de la taxe d'habitation et de la redevance télé, indexations répétées du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation et, surtout - dans la foulée de la crise des « gilets jaunes » -, une baisse de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu en 2020 - qui a beaucoup profité aux classes moyennes. Et au printemps dernier, le chef de l'Etat a encore promis 2 milliards d'euros de baisse d'impôt supplémentaire les concernant.

 

Position médiane

Dès avant ces efforts fiscaux, les classes moyennes françaises étaient pourtant loin d'être surtaxées par rapport à leurs pairs européens, selon l'IFO. Les chercheurs allemands ont compilé les taux d'imposition effectifs (définis comme la somme des impôts sur le revenu, charges et transferts sociaux rapportés au revenu disponible) des différents pays dans plusieurs configurations familiales.

Un célibataire sans enfant appartenant à la classe moyenne en France se voit ainsi ponctionner 26,8 à 34,6 % de ses revenus. Ce niveau est tout à fait dans la moyenne européenne (la France se classe en 14 position). A contrario, neuf pays européens prélèvent plus de 40 % des revenus de la classe moyenne supérieure - et jusqu'à 49,2 % en Belgique.

Dans une famille de deux adultes et deux enfants, la situation est un peu différente. Les transferts sociaux sont plus importants, donc les niveaux d'imposition effectifs plus faibles. La France retrouve toutefois sa position médiane en Europe - avec deux spécificités notables. La première est qu'elle est particulièrement généreuse avec ses classes moyennes inférieures (c'est-à-dire les familles ayant un revenu disponible compris entre 75 et 100 % du revenu médian, soit 16.900 à 22.500 euros par an en France).

Les aides sociales les concernant sont si importantes, que leur taux d'imposition effectif est négatif.

C'est également le cas dans quatre autres pays européens (Belgique, Irlande, Estonie et Grèce), mais c'est loin d'être la norme sur le continent.

 

La présidence d'Emmanuel Macron s'est traduite par de nombreux gestes fiscaux en direction des classes moyennes, dont la baisse de 5 milliards d'euros de l'impôt sur le revenu en 2020.

 

La deuxième caractéristique française est qu'elle traite de manière assez indifférenciée une famille dont un seul des parents travaille et une autre où les deux touchent des revenus. Dans de nombreux pays européens, les foyers avec un seul revenu sont plus taxés : jusqu’à 15 points de pourcentage en plus pour une famille de la classe moyenne supérieure en Suède par exemple. En relatif, les familles françaises de la classe moyenne disposant d'un seul revenu sont donc mieux traitées que dans la plupart des pays européens. 

 

Pas de geste fiscal avant au moins 2025

 

La promesse d'Emmanuel Macron de baisser les impôts de 2 milliards d'euros pour les classes moyennes « dans ce quinquennat » ne sera pas tenue en 2024.

 

Déminer, expliquer mais aussi essayer de donner des perspectives pour compenser les déceptions, cela fait partie de l'exercice de préparation des projets de loi de finances.

Qui plus est lorsque la croissance est en panne de moteur, lorsque «l'inflation reflue, mais pas assez vite », comme l'a reconnu jeudi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, et que cela commence à peser fortement sur la cote de confiance d'un exécutif qui reste traumatisé par la crise des « gilets jaunes ».

Déminer, c'est donc l'exercice auquel s'est livré cette semaine Bruno Le Maire sur un point toujours très sensible: les promesses de baisses d'impôts et notamment celle qu'Emmanuel Macron avait fini par faire au printemps après la crise des retraites. En mai dernier, alors que certains de ses ministres, tel Gabriel Attal, alors chargé des Comptes publics, alertaient sur le thème des classes moyennes qui « doivent mieux vivre de leur travail », le président avait fini par annoncer un geste. 

 

Nouveau coup de pouce

Interrogé sur TFI, le chef de l'Etat avait exprimé sa volonté de donner un nouveau coup de pouce aux classes moyennes, « c'est-à-dire les Françaises et les Français qui travaillent dur, qui veulent bien élever leurs enfants et qui aujourd'hui, parce que le coût de la vie a monté, parce que la dynamique des salaires n'est pas toujours là, ont du mal à boucler la fin du mois». Et d'ajouter: «Il faut qu'on les aide en concentrant [...] 2 milliards de baisses d'impôts sur ces Françaises et ces Français. » Dans un entretien à «L'Opinion » publié le même jour, Emmanuel Macron avait évoqué « les revenus entre 1.500 et 2.500 euros ».

Malgré des finances publiques plus que tendues, le président de la République avait assuré avoir les moyens de cette politique, du moins sur le quinquennat, en soulignant que « dans notre trajectoire budgétaire jusqu'en 2027, il y a 2 milliards de baisses d'impôts pour les ménages ».

Mais il s'était bien gardé d'avancer un calendrier précis, ajoutant que ce geste se ferait lorsque les finances le permettraient d'ici à la fin du quinquennat. L'annonce avait fait frémir certains de ses proches qui redoutaient un effet « forcément déceptif » et l'abandon de sa promesse de campagne d’allegement des droits de succession.

Alors avant même la présentation du projet de loi de finances 2024, le 27 septembre, et l'examen dans la foulée à l'Assemblée de la loi de programmation des finances publiques (LPFP), Bruno Le Maire a tenté de donner des perspectives plus rapprochées que la fin du quinquennat. « Le président a promis un allègement de la fiscalité sur les ménages pour au moins 2 milliards d'euros Nous le ferons au plus vite, si possible dès le budget 2025 », a t-il déclaré dans le « Le Figaro » mercredi. Tout étant dans le « si possible ».

 

Article Les Echos, lundi 11 septembre 2023